Entretiens Jean-Pierre Sainton et Maryse Condé

Entretien : Les Pharisiens

JPS : Maryse Condé, votre premier texte, Les Pharisiens, en 1962 : dans quel contexte l’avez-vous écrit ?

MC : Le titre, d’abord, me paraît intéressant parce que j’étais une grande lectrice de la Bible. Donc j’avais appris en lisant la Bible qu’il y a une différence entre des gens dont les actes sont… disent quelque chose, et dans la réalité, l’intérieur est très différent. J’étais frappée de voir qu’en Afrique il y avait une société qui disait qu’elle aimait, qu’elle voulait le bien du continent, qui veillait et qui prétendait qu’elle était uniquement intéressée par le progrès et l’avenir des masses africaines, mais qui en réalité ne faisait rien pour faire changer, se modifier le cours de choses. Donc le livre est à la fois une sorte d’étonnement sur ce que j’ai connu après, une sorte d’indifférence des nantis africains à la réalité de leur peuple ; une sorte de … ils acceptaient comme convenu ce qui était en fait affligeant - les séquelles de la domination coloniale - et ne faisaient rien pour la changer. Donc ce livre, Les Pharisiens, un peu naïf, je crois, était le rappel de cette vérité que, pour changer un peuple, il faut faire des efforts et aller au fond de soi-même.

JPS : Un livre de jeunesse, une œuvre de jeunesse mais que vous n’avez jamais voulu éditer ?

MC : Non, elle était, je crois, assez mauvaise, assez naïve, assez enfantine. C’était une sorte de constat de la réalité, peinture de la réalité, sans comprendre les causes profondes, les raisons profondes pour lesquelles la société était devenue ce qu’elle est.

JPS : Merci.

 

Gordes, automne 2016
Entretien réalisé par Jean-Pierre Sainton, en présence de Richard Philcox

Deuxième entretien : Heremakhonon

JPS : Maryse Condé, la première version, la toute première version d’Heremakhonon, en 1964 ?

MC : Oui. J’avais vécu de 60 à 64 à Conakry. D’abord, j’avais adoré la Guinée : pour moi c’était une découverte - j’adorais les gens -, d’une culture, d’un mode de vie. Et puis après 2 ans de vie en Guinée j’ai commencé à voir les problèmes politiques, et j’ai été mêlée à ce qu’on a appelé par la suite « le complot des enseignants ». Dans nos écoles, les jeunes, les enfants, se sont rebellés, ont fait grève contre la mainmise, l’emprise, la dictature de Sékou Touré ; et j’ai senti qu’il fallait en parler, qu’il fallait donner à cette rébellion enfantine, estudiantine, la dimension politique qu’elle méritait. Donc j’ai commencé à écrire ce livre ; il m’a fallu beaucoup d’années pour arriver à un modèle définitif ; mais dès 64 j’ai commencé à en parler.

JPS : Ceux qui le liront apprécieront, mais vous-même : une grande distance entre cette première version et ce que le grand public connaît comme la version définitive de l’ouvrage ?

MC : Oui, parce que, au début, je n’avais pas réalisé, compris, qu’un auteur doit embellir les faits pour que des faits soient frappants ; pour qu’ils signifient l’essentiel il faut les grossir, il faut un certain éclairage, une certaine disposition du réel qui est un peu une trahison de la vérité mais qui est nécessaire pour qu’un roman ait la force, ait la puissance qu’il doit avoir. Donc, au début c’était un peu trop calqué sur ce qui s’est produit et au fur et à mesure j’ai ajouté des éléments. Par exemple, les personnages importants se sont modifiés, sont devenus à la fois des figures vraies et des figures imaginaires.

 

Gordes, automne 2016
Entretiens réalisé par Jean-Pierre Sainton, en présence de Richard Philcox